Perspectives
juillet 31, 2020
La perturbation du paysage de la mobilité urbaine a été un effet secondaire presque immédiat de la crise de santé publique causée par la COVID-19. Comme les citoyens suivaient les directives du gouvernement de rester chez eux dans la mesure du possible, les rues habituellement animées des villes du monde entier se sont retrouvées quasi paralysées au printemps. Le travail et la scolarisation à distance ont réduit les déplacements quotidiens et interdit les sorties sociales, car presque toutes les activités, sauf les services essentiels, étaient suspendues.
Alors que les nouvelles infections semblaient diminuer au début de l’été, l’Amérique du Nord et une grande partie du monde avaient recommencé à ouvrir leurs sociétés et leurs économies. Cependant, la menace (ou la réalité, dans certaines régions) d’une seconde vague émergente a souligné l’importance de trouver un équilibre socialement éloigné à court terme. La « nouvelle normalité » a des conséquences dramatiques sur la mobilité : les gens se déplacent moins et utilisent des modes de transport différents.
Pour les investisseurs et les entrepreneurs de ce secteur, naviguer dans l’environnement actuel est la première étape. Si nous nous tournons vers l’avenir, la question clé est de savoir lequel de ces effets immédiats entraînera des changements durables dans nos habitudes de mobilité.
Il est compréhensible que la pandémie ait rendu peu attrayants les moyens les plus efficaces de transporter de grands groupes de personnes dans les zones urbaines. Au plus fort du confinement, la semaine du 6 avril, le nombre d’usagers du métro de Montréal avait diminué de 92 % et celui des autobus, de 82 %, et ce, malgré la suppression de tous les coûts de transport en autobus. À la mi-juillet, ce chiffre était toujours en baisse de 73 % pour le métro et de 46 % pour les autobus. Ainsi, la Société de transport de Montréal (STM) devrait enregistrer des pertes de 523 millions de dollars en 2020, et ce, dû en grande partie à cause de ces baisses d’achalandage1 et elle pourrait bien avoir besoin d’une aide financière d’urgence du gouvernement du Québec2. La plus grande agence de transport aux États-Unis, la MTA de la ville de New York, prévoit un déficit budgétaire de 16,2 milliards de dollars US jusqu’en 2024.3
Une fois que la crainte de contracter le virus aura disparu en raison de la disponibilité d’un vaccin, le nombre d’usagers se rapprochera sûrement des niveaux antérieurs à l’arrivée de la COVID. Cependant, de nombreuses villes nord-américaines ont conçu le transport en commun pour transporter les citoyens entre le centre-ville et les zones résidentielles ou les banlieues. Si la tendance vers le travail à distance se maintient au-delà de la réalité actuelle, un segment des usagers pourrait bien ne jamais redevenir des usagers quotidiens du transport en commun. Les déficits financiers liés à la COVID, qui ont déjà exigé l’intervention du gouvernement fédéral aux États-Unis,4 pourraient également entraîner des réductions de service continues ou des retards dans des projets essentiels d’amélioration. Les fardeaux budgétaires pourraient avoir des conséquences importantes sur les échéanciers d’électrification des parcs d’autobus, qui sont déjà bien en retard sur ceux de l’Europe et de la Chine. Les décideurs qui accordent une aide financière aux sociétés de transport en commun devraient tenir compte des objectifs de décarbonisation lorsqu’ils élaboreront les prochaines rondes d’aide de sorte que tout investissement public entraîne des améliorations durables.
Pendant que les citoyens cherchaient des moyens de réduire leur dépendance au transport en commun et que les administrations municipales cherchaient d’autres moyens d’accommoder la mobilité socialement éloignée, l’industrie du vélo a reçu un sérieux coup de pouce. La mise en œuvre d’une infrastructure cyclable dédiée s’est avérée l’un des meilleurs moyens d’accroître la participation.5 Ainsi, Montréal a créé 327 km de pistes cyclables et de voies piétonnières supplémentaires dans le cadre de son « circuit de transport actif sécuritaire ».6 Bien qu’il ne semble pas y avoir beaucoup de données accessibles au public sur le nombre de cyclistes en Amérique du Nord, des données fragmentaires provenant de diverses sources suggèrent une forte hausse pour les vélos et les vélos électriques. Un sentier de Philadelphie qui effectue des décomptes de cyclistes a connu une hausse de 471 % en mars;7 Lectrice Bikes, un détaillant de vélos électriques en Arizona, a vu ses ventes croître de 140 %.8 Et l’expérience de MKB avec sa société de portefeuille, la boutique de vélos mobiles nord-américaine Velofix, prouve que la demande pour la livraison et l’entretien adaptés et sans contact est plus élevée que jamais. Le cyclisme est en croissance depuis plusieurs années maintenant, en raison de facteurs liés à la santé, à l’environnement, à la congestion urbaine et à d’autres raisons. La COVID semble avoir ajouté un incitatif supplémentaire à court terme pour que les citoyens incluent le vélo dans leurs habitudes de mobilité ou d’exercice. Compte tenu de la nature saisonnière du cyclisme, ce nombre devrait diminuer à l’approche des mois d’hiver, mais il ne serait pas surprenant de voir une prolifération continue de ce mode de transport dans le monde post-COVID.
À la fin de mars, l’activité mondiale du transport routier avait diminué de 50 % par rapport à la moyenne de 2019,5 bien que, selon les données anonymisées sur la mobilité qu’Apple a rendues disponibles, les déplacements en transport en commun semblent avoir diminué de façon plus importante que les déplacements en véhicule personnel.9 Cela peut signifier que certains déplacements qui auraient autrement eu lieu dans les transports en commun ont été remplacés par des déplacements en véhicule personnel. Ces voyages semblent principalement avoir été effectués dans des véhicules appartenant déjà à des particuliers, les ventes de voitures neuves ayant diminué de 83 % en avril et de 57 % en mars.10 Comme on pouvait s’y attendre, au plus fort du confinement on a remarqué des chutes importantes dans les divers modes de transport routier. En avril, Uber a déclaré que le nombre d’usagers avait diminué de 80 % dans certaines villes, et Lyft a vu son chiffre d’affaires diminuer de 75 %.11 Ces services, qui étaient utilisés par plus de Canadiens que jamais avant la pandémie12, ont semblé souffrir du même sort que le covoiturage sur appel. Le confinement a ainsi fait baisser l’achalandage, mais d’après l’expérience de MKB avec la société de portefeuille Communauto, le partage des véhicules a été un moyen de transport privilégié par rapport au transport en commun, et ce segment n’a pas autant souffert qu’on ne le craignait au départ.
Les changements comportementaux et le ralentissement économique causés par la COVID-19 continueront probablement d’avoir des répercussions. Les achats de voitures ont diminué considérablement, car, comme tous les autres services non essentiels, les concessionnaires d’automobiles ont dû fermer leurs portes. Les ventes ont commencé à reprendre du poil de la bête, mais elles demeurent inférieures aux niveaux antérieurs à la COVID, et elles pourraient être lentes à se redresser en raison de la contraction de l’économie et de la réduction du revenu disponible de la population. Il est probable que cela ralentira l’adoption globale des véhicules électriques à court terme; toutefois, il est peu probable que cela réduise le pourcentage que représentent les ventes de ces véhicules par rapport aux ventes totales de véhicules. Ce chiffre était d’environ 3 % au Canada en 2019 et avait atteint près de 6 % en mars 2020.13 Le covoiturage a également connu des effets néfastes pendant le confinement, mais le secteur devrait voir un fort rebond à mesure que la mobilité générale augmentera et que de nombreux nouveaux utilisateurs, qui ont laissé tomber le transport en commun pour privilégier des trajets en covoiturage, décideront de conserver ces nouveaux abonnements. Les services de covoiturage sur appel sont également susceptibles de reprendre la croissance qu’ils avaient connue au cours des dernières années une fois que la mobilité reprendra du service.
Bien que le transport aérien ne fasse pas partie de la mobilité urbaine en soi, tout comme le transport en commun, l’aviation commerciale est l’un des modes de transport les plus touchés par la COVID-19. À la mi-avril 2020, l’activité des vols commerciaux avait diminué de 75 % par rapport aux niveaux de 2019.5 C’est peut-être aussi l’un des secteurs où les répercussions seront plus permanentes. L’activité aérienne reviendra presque certainement à des niveaux plus élevés que ceux observés aujourd’hui. Cependant, la pandémie a peut-être accéléré l’abandon du transport aérien pour les affaires, grâce à la prolifération des vidéoconférences.14 Les voyages-vacances en avion pourraient, eux aussi, connaître une décélération semblable, car la tendance sociale connue sous le nom de flygskam se répand en Europe et ailleurs. Ce terme suédois se traduit par « honte du vol » et représente un mouvement qui incite à éviter le transport aérien en raison de sa forte empreinte carbone.15 Ces tendances sont relativement naissantes, mais elles ont la capacité de s’enraciner davantage dans les normes sociétales au fil du temps.
S’il y a quelque chose que 2020 a rappelé au monde entier, c’est bien que personne ne sait de quoi l’avenir aura l’air. Cependant, nous pouvons supposer que la mobilité demeurera probablement sous sa forme actuelle jusqu’à ce que les craintes du virus se soient apaisées par l’arrivée d’un vaccin. Selon la meilleure estimation de la communauté scientifique, cela ne surviendra pas avant plusieurs mois, au mieux. Lorsque nous ne serons plus incités à ne pas nous déplacer, nous pourrons commencer à prendre conscience des conséquences à long terme de cette situation. Le transport en commun n’est certainement pas voué à une réduction à long terme de ses niveaux actuels d’achalandage; la croissance du cyclisme et la diminution des déplacements aériens ont peut-être connu des pics temporaires, mais il se pourrait aussi que ces signes annoncent des tendances qui pourraient être là pour de bon. Le résultat le plus probable semble être à la fois un retour vers la moyenne antérieure à la COVID-19, et une accélération des tendances déjà en place.
Auteur: Saul Muskin, Analyst @ MacKinnon, Bennett & Compagny Inc.
Image: Jamshed Khedri via Unsplash
Sources :